Flash : Première décision sur la « clause Molière »

Le 7 juillet 2017, le Tribunal administratif de Nantes a rendu la première décision relative aux clauses Molière. En validant une clause d’interprétariat contenue dans un marché public de travaux et de réfection d’un lycée ligérien, le juge a clarifié le débat sur ces clauses particulièrement controversées.
La clause Molière a été adoptée par de nombreux élus locaux pour lutter contre le travail détaché, en imposant aux ouvriers intervenant dans le cadre des marchés publics de travaux de comprendre et de s'exprimer en français.
Sur ces bases, à l’occasion du débat sur la Loi Travail, certains députés et sénateurs ont déposé un amendement tendant à faire de l’usage du français sur les chantiers une obligation légale, sans succès.
Le débat sur la question du travail détaché est d’une telle intensité que la Commission a été conduite à proposer une réécriture de la directive sur les travailleurs détachés (n° 96/71/CE). Cette proposition de directive du 8 mars 2016, visant à « lutter contre les pratiques déloyales et promouvoir le principe selon lequel un même travail effectué au même endroit devrait être rémunéré de manière identique » doit déjà être réexaminée suite à l’utilisation de la procédure dite du « carton jaune » par onze Etats membres. Dans l’attente d’une clarification à l’échelle européenne, l’instruction ministérielle du 27 avril 2017 relative aux délibérations et actes des collectivités territoriales imposant l’usage du français dans les conditions d’exécution des marchés considère illégale toute pratique visant à limiter le recours aux travailleurs détachés, et en particulier la clause Molière.
Dans ce cadre, la validation contre toute attente d’une clause d’interprétariat par le Tribunal administratif de Nantes clarifie le droit applicable sans pour autant valider la clause Molière en tant que telle.

I. La validation par le Tribunal administratif de Nantes d’une clause d’interprétariat

A. L’espèce

L’instruction ministérielle du 27 avril 2017 impose aux préfets de soulever l’illégalité des délibérations et des contrats contenant des clauses exigeant l’usage du français pour l’exécution d’un marché public. Dans ce cadre, la préfète des Pays de la Loire a formé un référé précontractuel contre la passation d’un marché public de travaux de mise en accessibilité et de réfection d’un lycée de la région.

La clause litigieuse était la suivante :

« 8.4.1 - protection sociale Afin de permettre au maître d'ouvrage d'exercer son obligation de prévention et de vigilance, et sur demande du coordonnateur en matière de sécurité et protection de la santé, du maître d'œuvre ou du maître d'ouvrage, le titulaire est tenu de recourir, à ses frais, à un interprète qualifié dans les langues concernées, si les personnels présents sur le chantier, quelle que soit leur nationalité, ne disposent pas d'une maîtrise suffisante de la langue française pour leur permettre de comprendre la réglementation sociale en application du Code du travail. La prise en charge des frais d'interprétariat se fera aux seuls frais du titulaire. »

« 8.4.2 – prévention de sécurité Afin de garantir la sécurité des travailleurs et visiteurs sur le chantier lors de la réalisation de tâches, signalées par le coordonnateur en matière de sécurité et protection de la santé, le maître d'œuvre ou le maître d'ouvrage, comme présentant un risque pour la sécurité des personnes et des biens, notamment en cas de coactivé, les personnels affectés à l'exécution de ces tâches, et quelle que soit leur nationalité, recevront une formation spécifique à cette fin et devront être en mesure de comprendre et échanger sur les directives orales et/ou écrites nécessaires à l'exécution desdites tâches. A cet effet, et faute de maîtrise suffisante de la langue française par le personnel visé au précédent alinéa, le titulaire sera tenu, après information préalable du coordonnateur en matière de sécurité et protection de la santé et du maître d'œuvre, de veiller à l'intervention d'un interprète qualifié dans les langues concernées. La prise en charge des frais d'interprétariat se fera aux seuls frais du titulaire. »

« 8.4.3 – Défaut de recours à un interprète En cas de carence constatée ou du défaut de preuve de la qualification d'un interprète, la Région désignera un ou des interprètes de son choix. Les frais consécutifs seront comptabilisés comme pénalités au titre de l'article afférent au présent cahier des clauses administratives particulières ; une pénalité forfaitaire sera également appliquée. De plus, après mise en demeure restée sans effet, la résiliation du marché pourrait être prononcée aux frais et risques du titulaire. »

« 12.2.7 – non-respect des obligations en matière d’interprétariat En cas de non-respect des obligations en matière d'interprétariat sur le chantier ou de défaut de preuve de la qualification de l'interprète, le titulaire encourt, sans mise en demeure préalable, une pénalité correspondant aux frais consécutifs pour la Région des Pays de la Loire, assortie d'une pénalité forfaitaire de 100,00 euros par jour de carence constaté. »

La préfète des Pays de la Loire soutient que ces stipulations porteraient atteinte aux obligations de publicité et de mise en concurrence puisqu’elles méconnaîtraient les principes communautaires et nationaux de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats, de libre circulation des travailleurs et de libre prestation de services. En effet, le recours à un interprète conduit à un renchérissement des offres des entreprises ayant recours à des travailleurs détachés. La préfète demande donc l’annulation de la procédure de passation du contrat et la suppression de la clause litigieuse du CCAP (Cahier des clauses administratives particulières).

B. La solution lapidaire retenue par le juge

Le juge est sensible à l’argument de protection sociale des salariés et de sécurité des travailleurs invoqué par le conseil régional et retient que ces clauses entrent dans le cadre du I de l’article 38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, qui dispose :

« I. - Les conditions d'exécution d'un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives à l'économie, à l'innovation, à l'environnement, au domaine social ou à l'emploi, à condition qu'elles soient liées à l'objet du marché public. Elles peuvent aussi prendre en compte la politique menée par l'entreprise en matière de lutte contre les discriminations.

Sont réputées liées à l'objet du marché public les conditions d'exécution qui se rapportent aux travaux, fournitures ou services à fournir en application du marché public, à quelque égard que ce soit et à n'importe quel stade de leur cycle de vie, y compris les facteurs intervenant dans le processus spécifique de production, de fourniture ou de commercialisation de ces travaux, fournitures ou services ou un processus spécifique lié à un autre stade de leur cycle de vie, même lorsque ces facteurs ne ressortent pas des qualités intrinsèques de ces travaux, fournitures ou services.

Pour l'application du présent I, le cycle de vie est l'ensemble des étapes successives ou interdépendantes, y compris la recherche et le développement à réaliser, la production, la commercialisation et ses conditions, le transport, l'utilisation et la maintenance, tout au long de la vie du produit ou de l'ouvrage ou de la fourniture d'un service, depuis l'acquisition des matières premières ou la production des ressources jusqu'à l'élimination, la remise en état et la fin du service ou de l'utilisation. »

Le juge estime que si les clauses litigieuses « ne sont pas neutres sur la formation des offres, elles trouvent à s’appliquer sans discrimination, même indirecte, à toutes les entreprises soumissionnaires, quelle que soit la nationalité des personnels présents sur le chantier ».

Par ailleurs, même si ces clauses avaient pour effet de restreindre la liberté d’accès à la commande publique, le juge retient qu’elles ne s’appliquent pas de manière discriminatoire ni disproportionnée.
Dans ce cadre, le juge en déduit que les clauses litigieuses ne méconnaissent pas les principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats.
De même, le Tribunal administratif de Nantes juge inopérants les moyens soulevés relatifs à un éventuel détournement de procédure.

II. Une décision à interpréter avec parcimonie

A. Le caractère gradué de la clause d’interprétariat de l’espèce

En effet, il ne s’agit pas d’une clause visant « à imposer l’usage du français par les salariés des candidats aux marchés publics », selon les termes de l’instruction ministérielle du 27 avril 2017, mais d’une clause d’interprétariat exigeant le recours à un interprète qualifié dans le cas où les personnels du chantier ne maîtrisent pas suffisamment la langue française pour comprendre la réglementation sociale ou réaliser des tâches présentant un risque pour leur sécurité.
Par ailleurs, selon Nicolas Raïsky, directeur de la commande publique régionale, « Pendant l’audience, nous avons expliqué au juge – et il y a été sensible – que nous savons que la clause d’interprétariat induit un surcoût pour le titulaire. Mais ce surcoût n’est pas démesuré par rapport au montant du chantier et l’entreprise est libre de sélectionner son interprète. En outre, ce surcoût est bien inférieur à la différence de montant de charges sociales que règle une entreprise faisant appel à des travailleurs étrangers par rapport à une entreprise soumise aux règles du système social français. Notre but, c’est de lutter contre le dumping social ».
Ainsi, le juge a probablement été sensible à la rédaction circonstanciée de la clause pour retenir que le renchérissement des offres induit est proportionné aux objectifs invoqués de protection sociale des salariés et de sécurité des travailleurs.

B. Les incertitudes quant à la légalité des clauses Molière générales

De nombreuses critiques s’élèvent contre la décision du Tribunal administratif de Nantes dans la mesure où l’on voit difficilement en quoi la clause litigieuse est applicable « sans discrimination, même indirecte, à toutes les entreprises soumissionnaires » comme le retient le juge. Si cette clause s’applique indistinctement, quelle que soit la nationalité des personnels présents, en pratique, seules les entreprises employant des travailleurs détachés devront recourir à un interprète, ce qui les désavantage indirectement pour la passation du marché.
Si le juge administratif a considéré que compte tenu du caractère gradué de la clause, le renchérissement de l’offre était proportionné à l’objectif poursuivi, une clause Molière générale, exigeant que les travailleurs parlent français, pourrait ne pas répondre à cet impératif de proportionnalité.
La décision du tribunal administratif de Lyon, saisi en avril d’un recours pour excès de pouvoir contre une clause Molière, nous éclairera sur ce point.

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