« Tout est permis » ( partie 2)

2ème partie : Autorisation d’urbanisme et PLU : le lien est-il rompu ?

Il est bien connu qu’une autorisation d’urbanisme doit être conforme aux règles du document d’urbanisme applicable sur le territoire d’implantation du projet.

Sauf certificat d’urbanisme opérationnel ou lotissement en cours de validité ayant pour effet de figer les règles applicables à une date antérieure, les dispositions applicables sont celles existantes au jour de la délivrance de l’autorisation.

Ce deuxième avis du 2 octobre 2020 (n°436924) rendu par le Conseil d’Etat dans sa formation de Section porte sur la question de savoir quel est le document applicable, en présence d’une annulation ou d’une déclaration d’illégalité postérieurement à l’édiction de l’autorisation.

La demande d’avis portait sur les questions suivantes :

1) Quels sont les motifs d’illégalité d’un des documents d’urbanisme visés aux articles L.600-12 et L.600-12-1 du code de l’urbanisme qui doivent être considérés comme étrangers aux règles d’urbanisme applicables au projet. En particulier, l’illégalité externe dont est entaché un tel document doit-elle invariablement être regardée comme étrangère aux règles d’urbanisme applicables au projet ?

2) Dans le cas où le document d’urbanisme a été totalement annulé ou déclaré illégal pour plusieurs motifs et où le seul motif qui n’est pas étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet n’affecte que certaines dispositions divisibles de ce document, faut-il en déduire qu’il appartient au juge d’examiner la légalité de la décision en litige en appréciant sa conformité, d’une part, aux dispositions du document d’urbanisme immédiatement antérieur, équivalentes à celles annulées ou déclarées illégales pour un motif qui n’est pas étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet, et, d’autre part, et pour le surplus, aux dispositions du document d’urbanisme annulées ou déclarées illégales mais pour un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet ?

1. Les motifs d’illégalité étrangers aux règles applicables au projet

Le groupe de travail présidé par Madame MAUGÜE avait proposé de « couper le lien » entre l’illégalité du document d’urbanisme et le permis de construire ou le permis d’aménager « lorsque cette illégalité ne résulte pas de motifs qui affectent le projet autorisé ». Il avait proposé la rédaction d’un nouvel article L.600-12-1 reposant sur la notion de vice étranger ou non étranger au motif d’annulation ou de déclaration d’illégalité.

Comme le précise M. FUCHS, Rapporteur public sur l’avis commenté, le groupe de travail répondait alors à une difficulté qu’il avait identifiée, à savoir qu’avec la jurisprudence « Commune de Courbevoie » du 7 février 2008 et les termes de l’article L.600-12 du code de l’urbanisme, « l’application du document d’urbanisme immédiatement antérieur peut conduire à remettre en vigueur des dispositions désuètes ou dépourvues de sens et de pertinence au regard des évolutions démographiques et urbaines d’un territoire donné. Les chances de survie de l’autorisation d’urbanisme dans un tel cas deviennent alors minimes ».

Suivant la proposition précitée, le législateur a, dans la loi ELAN du 23 novembre 2018, instauré un article L.600-12-1 du code de l’urbanisme :

« L'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale sont par elles-mêmes sans incidence sur les décisions relatives à l'utilisation du sol ou à l'occupation des sols régies par le présent code délivrées antérieurement à leur prononcé dès lors que ces annulations ou déclarations d'illégalité reposent sur un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet ».

Qu’est-ce qu’un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet ?

Tout motif d’illégalité externe (de forme ou de procédure) est-il étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet ? En principe oui. Mais pas systématiquement.

Il y a exception quand ce motif d’illégalité « a été de nature à exercer une influence directe sur des règles d’urbanisme applicables au projet ».

M. FUCHS, Rapporteur public, donnait les illustrations suivantes :

« A titre d’exemples, l’insuffisance de l’évaluation environnementale peut avoir eu une incidence sur le classement de certaines parcelles ou des modifications irrégulièrement intervenues postérieurement à l’enquête publique peuvent être susceptibles d’affecter les règles de fond concernées, comme le montrent les faits à l’origine du litige [règles de hauteur applicables au projet et modifiées illégalement après l’enquête publique]».

A l’inverse, tout motif d’illégalité interne (de fond) n’est en principe pas étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet. Exception quand ce motif concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet.

2. Quels effets juridiques sur l’autorisation d’urbanisme ?

En présence d’un motif d’illégalité étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet :

La solution est radicale : la légalité de l’autorisation d’urbanisme est appréciée uniquement au regard du document d’urbanisme illégal qui survit. Il n’y a plus lieu à examiner la légalité de l’autorisation d’urbanisme à l’aulne de l’ancien document d’urbanisme remis en vigueur.

Dans ses conclusions, M. FUCHS appréciait le paradoxe d’avoir un document d’urbanisme à la fois « mort » et« vivant », à l’image du « paradoxe du chat de Schrödinger » en physique quantique : « mort » pour tous par l’effet d’une annulation « erga omnes » du plan mais « vivant » pour les autorisations d’urbanisme délivrées avant son annulation ou sa déclaration d’illégalité si le motif d’illégalité est étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet.  

En présence d’un motif d’illégalité qui n’est pas étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet

L’avis distingue trois cas :

  • Dans le cas où ce ou ces motifs affectent la légalité de la totalité du document d’urbanisme, la légalité de l’autorisation contestée doit être appréciée au regard de l’ensemble du document immédiatement antérieur ainsi remis en vigueur ;
  • Lorsque ce ou ces motifs affectent seulement une partie divisible du territoire que couvre le document local d’urbanisme, ce sont les dispositions du document immédiatement antérieur relatives à cette zone géographique qui sont remises en vigueur ;
  • Si ce ou ces motifs n’affectent que certaines règles divisibles du document d’urbanisme, la légalité de l’autorisation contestée n’est appréciée au regard du document immédiatement antérieur que pour les seules règles équivalentes nécessaires pour assurer le caractère complet et cohérent du document.

D’abord, en présence d’un vice qui n’est pas étranger aux règles applicables au projet, l’illégalité du document d’urbanisme n’entraîne pas automatiquement l’illégalité de l’autorisation d’urbanisme.

Le Conseil d’Etat fait alors application de sa décision de Section « Commune de Courbevoie » du 7 février 2008 : le moyen d’exception d’illégalité du PLU est inopérant si le requérant ne fait pas l’effort de préciser en quoi le projet serait contraire aux dispositions du document d’urbanisme remis en vigueur :

« 4. En outre, lorsqu’un motif d’illégalité non étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet est susceptible de conduire à remettre en vigueur tout ou partie du document local d’urbanisme immédiatement antérieur, le moyen tiré de l’exception d’illégalité du document local d’urbanisme à l’appui d’un recours en annulation d’une autorisation d’urbanisme ne peut être utilement soulevé que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnait les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur ». 

Ensuite, la demande d’avis incite le Conseil d’Etat à aller plus loin dans l’hypothèse où ce sont des règles divisibles du document d’urbanisme qui sont entachées d’un motif d’illégalité non étranger au projet.

Le Conseil d’Etat précise ce qu’il faut entendre par « règles divisibles du document d’urbanisme » :

« S’agissant en particulier d’un plan local d’urbanisme, une disposition du règlement ou une partie du document graphique qui lui est associé ne peut être regardée comme étant divisible que si le reste du plan forme avec les éléments du document d’urbanisme immédiatement antérieur le cas échéant remis en vigueur, un ensemble complet et cohérent ».  

M. FUCHS indiquait dans ses conclusions :

«Vous acceptez que seule la règle antérieure équivalente ou homologue soit remise en vigueur  voyez par exemple votre décision de Section X... du 3 décembre 1993 (n°90915 au Recueil), à la condition, ainsi que vous l’avez jugé et fiché dans une décision SA Foncière Paris Neuilly du 13 novembre  2002, que « les dispositions rendues applicables de ce fait soient compatibles avec les  dispositions d'urbanisme maintenues en vigueur » (CE, 13 novembre 2002, SA Foncière Paris Neuilly, n° 185637, aux Tables). Cette jurisprudence, éclairée par les  conclusions de la présidente de Silva, visait précisément à prévenir les cas dans lesquels il  serait matériellement impossible de concilier entre elles des règles issues d’un zonage  différent ou des dispositions de fond. Vous n’avez à notre connaissance pas réitéré cette  jurisprudence mais elle est, même si assez sporadiquement, mise en œuvre par les juges du  fond (Par exemple CAA Nantes, 22 mai 2018, Mme J..., n° 16NT01466, inédit).

Nous vous invitons donc à réaffirmer aujourd’hui qu’il est possible que soit remise en vigueur la seule règle antérieure homologue, sous réserve toutefois que celle-ci forme un ensemble cohérent avec les dispositions restantes du document sur le fondement duquel l’autorisation a été octroyée. Une telle solution nous paraît fondée juridiquement, notamment car elle fait écho à la nécessité de conserver la cohérence du document initial en cas d’illégalité l’atteignant partiellement. Elle est en outre pleinement opportune au regard des objectifs recherchés, puisqu’elle permet autant que possible de ne pas faire revivre l’intégralité du document d’urbanisme obsolète mais seulement d’y piocher un élément nécessaire pour assurer le caractère complet du document d’urbanisme le plus récent, sous les conditions mentionnées.  

Ajoutons que, dans certains cas, une telle remise en vigueur ne sera toutefois pas nécessaire, par exemple si une règle ne possède pas de disposition homologue dans le document antérieur. Nous pensons par exemple à l’annulation à laquelle vous avez procédé, dans une  décision SFR du 17 juillet 2013 (350380 aux T.), de dispositions interdisant l’implantation d’antennes de téléphonie mobile en zone U d’un plan local d’urbanisme : il nous semble que dans un tel cas, un « coup de rabot » au document existant suffit et qu’il n’est pas nécessaire de remonter au document antérieur ».   

En synthèse, lorsqu’il conteste une autorisation d’urbanisme sur le fondement d’un PLU illégal, le requérant devra d’abord répondre à la question de savoir si le vice d’illégalité du PLU est étranger ou pas au projet.

S’il est étranger au projet, il ne pourra contester l’autorisation d’urbanisme que sur le fondement du PLU annulé ou déclaré illégal qui survivra donc pour les besoins du contentieux contre cette autorisation.

La coupure du lien entre autorisation d’urbanisme et PLU aura alors pour effet de vérifier une conformité de l’autorisation avec un document illégal.

Le principe de légalité s’incline donc devant la volonté de ne plus appliquer d’anciens POS/PLU obsolètes, pour les autorisations délivrées avant annulation ou déclaration d’illégalité du document d’urbanisme. Mais si le principe de légalité prévalait avant c’était par l’effet d’une fiction, celle d’une remise en vigueur d’un document d’urbanisme disparu de l’ordonnancement juridique.  

Si le motif d’illégalité n’est pas étranger au projet contesté, deux hypothèses s’ouvriront alors :

  • Soit le motif d’illégalité non étranger n’est pas divisible (matériellement ou géographiquement) du reste du document d’urbanisme : l’autorisation sera alors confrontée au document d’urbanisme remis en vigueur.
  • Soit le motif d’illégalité non étranger est divisible (matériellement ou géographiquement) du reste du document d’urbanisme: l’autorisation d’urbanisme sera alors confrontée à l’ancien document d’urbanisme seulement pour cette règle et au document d’urbanisme annulé et déclaré illégal pour les autres règles applicables au projet, à condition que la règle remise en vigueur forme avec les règles du document annulé ou déclaré illégal un ensemble complet et cohérent.

Il reviendra au Juge administratif de poser les contours de la notion d’« ensemble complet et cohérent » formé par une ancienne règle remise en vigueur avec un nouveau document d’urbanisme. Il lui appartiendra aussi de juger si le lien est direct ou pas entre un motif d’illégalité de procédure ou de forme et l’autorisation d’urbanisme et ainsi de déterminer si le motif d’illégalité est étranger ou pas à l’autorisation d’urbanisme.

De nouveaux débats contentieux sont donc ouverts. Reste à savoir dans quelle proportion l’objectif d’éviter d’appliquer des documents d’urbanisme obsolètes sera atteint.

Après le rapport du groupe de travail, la loi ELAN, l’avis du Conseil d’Etat, le 4ème acte est dans les mains des Juges. 

Patrick Lucien-Baugas



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